vendredi 29 novembre 2024

Le Djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, médiateur en chef dans la Corne de l’Afrique

 Guerre au Soudan, tensions en Éthiopie, différends entre Somalie et Somaliland, attaques houthistes depuis le Yémen… Le chef de l’État djiboutien tente d’apaiser les crises qui menacent l’est du continent. Même si, pour 2024, son plus beau succès porte sur la reconduction de l’accord de défense avec la France. Avant l’élection, peut-être, en février 2025, de son chef de la diplomatie à la tête de la Commission de l’UA.


Force est de constater que, en presque un demi-siècle d’existence, Djibouti a réussi à se forger une place sur les scènes diplomatiques régionales et internationales, sans commune mesure avec sa superficie ou le poids de sa population. Cette « diplomatie de géant d’un petit État » – pour reprendre le titre de l’ouvrage consacré au sujet en 2020 par l’universitaire française Sonia Le Gouriellec – s’est à nouveau confirmée ces derniers mois, à mesure que Djibouti s’impliquait dans le conflit au Soudan, dans les différends qui opposent depuis toujours l’Éthiopie à la Somalie, ainsi que dans les différends entre la Somalie et les sécessionnistes somalilandais. À chaque fois, aux avant-postes des négociations, le président Ismaïl Omar Guelleh (IOG) en personne.

Sans échéance électorale significative dans son pays avant la prochaine présidentielle (prévue en 2026), à bientôt 77 ans, le chef de l’État peut donc s’appuyer sur son image de sage pour donner toute sa mesure à l’international. Il dispose également du mandat pour cela, puisque, depuis juin 2023, il assure la présidence tournante de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), basée à Djibouti, qui compte aussi parmi ses membres l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, l’Ouganda, l’Érythrée (depuis 2023), le Soudan du Sud et le Soudan, qui a suspendu son adhésion début janvier 2024. Et il faut reconnaître que, depuis qu’IOG en a pris la tête, l’organisation sous-régionale fait montre d’une activité quasiment inédite depuis sa création, en 1986.



 Une Corne de l’Afrique sous très haute tension


Îlot de stabilité au cœur d’une région sous très haute tension, Djibouti a accueilli au cours des dernières années de nombreux pourparlers de paix, placés sous l’égide d’un président Guelleh qui, après bientôt vingt-cinq ans au pouvoir, a su tisser des liens de confiance et de proximité avec la plupart des chefs d’État voisins, exception faite de l’Érythréen Issayas Afewerki.

Les résultats diplomatiques enregistrés par les différents acteurs sont pourtant, au mieux, mitigés. C’est le cas concernant le Soudan où, après dix-huit mois de combats, aucune solution politique ne semble émerger. Inquiet des risques de contagion dans la région, IOG a cependant donné de sa personne, dès les premiers jours de la guerre civile, pour tenter d’imposer une médiation de l’Igad aux deux protagonistes, mais sans succès. Si Abdel Fattah al-Burhane, le président de la transition, s’est bien rendu à Djibouti pour discuter d’une telle éventualité, son rival, Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, s’y est jusqu’à présent toujours refusé. Et alors que ce conflit devient le plus meurtrier d’Afrique à l’heure actuelle, son éventuel règlement pourrait bien échapper au continent.

Investi de longue date dans les crises à répétition qui divisent la Somalie voisine, IOG a bien cru toucher au but en réunissant autour de lui, le 29 décembre 2023, le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, et celui de la République autoproclamée du Somaliland, Muse Bihi Abdi. Alors que les deux hommes venaient de s’accorder à Djibouti pour relancer des pourparlers qui étaient au point mort depuis 2020, le leader somalilandais surprenait tout le monde en s’envolant directement pour Addis-Abeba et, moins de quarante-huit heures plus tard, signait avec le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, un protocole d’accord (MoU) qui, depuis, a sérieusement ravivé les tensions à travers la Corne de l’Afrique et au-delà.

Les détails n’ont toujours pas été rendus publics, mais l’Éthiopie obtiendrait la concession pour cinquante ans d’une bande de littoral de 12 miles, arrachant ainsi l’accès maritime qu’elle réclame depuis des mois, contre la reconnaissance formelle du Somaliland. Un deal inacceptable pour le président somalien, qui a qualifié cet accord d’« acte d’agression » de la part de l’Éthiopie, accusée de vouloir rallumer les braises enfouies depuis cinquante ans sous les sables de l’Ogaden. À Djibouti, si un communiqué faisait part « de la grande préoccupation » de la présidence, le ton était tout autre en coulisse : « IOG est furieux », nous confiait alors un diplomate.

 *Addis-Abeba, premier partenaire* 

Le président Guelleh a pourtant rapidement repris la main sur ce dossier ô combien incandescent. Pendant que Mogadiscio faisait encore grimper la pression d’un cran en recevant sur son sol des troupes égyptiennes fin août, Djibouti cherchait de son côté à apaiser la situation en proposant aux Éthiopiens, début septembre, la cogestion de son port de Tadjourah, situé dans le nord du pays. Là encore, les modalités restent à définir et si la « proposition est sincère », ainsi que l’assure la présidence djiboutienne, celle-ci attendait toujours une première réaction des Éthiopiens à la mi-novembre.

L’objectif est double pour Djibouti, qui espère ainsi renforcer ses liens avec son principal partenaire commercial et économique, tout en portant un coup sévère aux ambitions affichées ces derniers mois par le port somalilandais de Berbera de menacer à terme ses propres intérêts maritimes.  L’autorité portuaire de Djibouti n’a de toute façon pas attendu l’initiative du président Guelleh pour enterrer, définitivement semble-t-il, une éventuelle concurrence de son voisin.


Désireux de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, tout en répondant aux provocations d’Abiy Ahmed qui accusent leurs ports de tous les maux économiques de son pays, les responsables djiboutiens n’ont eu de cesse ces dernières années, de réorienter les activités de leurs terminaux. Si, depuis 1993 et l’indépendance érythréenne, les ports djiboutiens traitent chaque année près de 80 % des flux de marchandises éthiopiens, ils ont entamé depuis la pandémie leur mue, pour devenir aujourd’hui le principal terminal de transbordement de la sous-région.

En 2024, les volumes transbordés ont représenté 50 % des trafics conteneurisés traités par le port de Doraleh, contre moins de 30 % dans un passé récent, alors que durant les douze derniers mois le nombre d’équivalents-vingt-pieds (EVP) a augmenté de 35 % pour dépasser le million de boîtes manutentionnées. « Djibouti fait en un mois et demi le trafic annuel de Berbera », résume Aboubaker Omar Hadi, le patron tout-puissant des ports djiboutiens.

Djibouti a également profité des fortes perturbations du trafic maritime en mer Rouge, provoquées depuis un an par les attaques des rebelles houthistes du Yémen, pour s’imposer comme une escale portuaire incontournable dans le détroit de Bab-el-Mandeb. Le port n’a eu de cesse de compléter et d’améliorer ses services aux navires, tout en investissant lourdement dans du matériel de manutention flambant neuf et dimensionné pour traiter les géants des mers de dernière génération. « Aucun navire ne doit rester plus de douze heures à quai », insiste encore le président de l’autorité portuaire.


Dans le même temps, le pays a aussi tiré parti de cette crise et de sa géographie pour renforcer son rôle militaire dans la région. Les États-Unis n’ont peut-être pas été autorisés à faire décoller depuis leur base djiboutienne les avions et les drones utilisés dans le cadre de l’opération Gardien de la prospérité, mais, depuis février 2024, l’Union européenne peut positionner ses bâtiments de guerre affectés à l’opération Aspides, l’opération d’escorte aux navires marchands, dans les bassins du vieux port.

 

Entre Paris et Djibouti, un nouvel accord de défense… Et un loyer revu à la hausse


Si les fruits de son implication dans la résolution des différents conflits régionaux continuent de se faire attendre, la diplomatie djiboutienne a enregistré un beau succès cette année, en réussissant à trouver un nouvel accord de défense avec la France. Les tractations ont duré plus de deux ans et ont nécessité plusieurs allers et retours entre Paris et Djibouti, mais les deux côtés semblent avoir obtenu ce qu’ils cherchaient, à savoir pour l’un, un point d’appui aérien et maritime sur l’Afrique, le Moyen-Orient et l’océan Indien, pour l’autre, une garantie de sa propre sécurité.

Mais pas à n’importe quel prix pour les Djiboutiens qui, de l’avis même de certains collaborateurs du président Guelleh, ne voulaient pas « subventionner la présence française ». En jeu : le montant du loyer payé chaque année par la France pour disposer de sa base, que Djibouti voulait absolument revoir à la hausse. Mission accomplie puisque, selon plusieurs sources concordantes, le montant du loyer pourrait atteindre près de 85 millions d’euros, contre une trentaine de millions auparavant. Signé à la fin de juillet par Emmanuel Macron et Ismaïl Omar Guelleh, à Paris, en marge de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, l’accord doit encore être ratifié par les parlements des deux pays avant sa mise en œuvre.

Enfin, comme un symbole de l’activisme djiboutien en matière de diplomatie, son chef, Mahamoud Ali Youssouf, postule la présidence de la Commission de l’Union africaine pour succéder au Tchadien Moussa Faki Mahamat, avec de bonnes chances de l’emporter. « C’est un cadeau que Djibouti ferait à l’Afrique », estime l’un de ses collègues du gouvernement. Réponse lors du 38 sommet de l’organisation panafricaine, à Addis-Abeba, en février 2025.


 Source : Olivier Caslin - Envoyé spécial à Djibouti_

Publié le 27 novembre 2024

 Jeune Afrique 

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