Dans l’édito du week-end, on va décrypter l’interview effectuée pa
r le Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale M Mohamoud Ali Youssouf , candidat à la présidence de la commission de l’Union Africaine. Cet interview est réalisée par
Zyad Limam pour l’Afrique Magazine de ce mois ci . Vous pouvez également retrouver le lien de cet interview à la fin de cette analyse suivante.
À la tête du ministère des Affaires étrangères de Djibouti depuis 2005, Mahamoud Ali Youssouf se présente aujourd'hui comme un candidat sérieux à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Dans cette interview exclusive, il expose les enjeux cruciaux auxquels son pays et la région doivent faire face, tout en soulignant les progrès réalisés sous la présidence de l’IGAD par le président Ismaïl Omar Guelleh.
 |
Mohamoud Ali Youssouf,Ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale |
Le sommet de Djibouti de juin 2023 a marqué un tournant décisif avec l’adoption d’un nouveau traité pour l’IGAD, modernisant un cadre institutionnel vieux de près de trois décennies. Cette initiative, impulsée par des mécanismes de résolution des conflits et une intégration économique accélérée, reflète une ambition commune restée trop longtemps en suspens.
Cependant, c’est le conflit soudanais qui a véritablement dominé l’agenda. Djibouti s’est positionné en médiateur infatigable, organisant sommets et réunions ministérielles pour rapprocher les parties belligérantes, tout en soutenant les initiatives régionales et internationales. Le déploiement de la diplomatie djiboutienne, en coordination avec des acteurs tels que l’ONU et l’Union africaine, a été intense et collectif, à la mesure des enjeux.
La Corne de l’Afrique demeure une région complexe et difficile, où les tensions sont omniprésentes. Le président Guelleh a dû naviguer habilement entre Addis-Abeba et Mogadiscio, tout en assurant la sécurité du stratégique détroit de Bab el-Mandeb. Djibouti, au carrefour de l’Afrique et de la péninsule arabique, joue un rôle de pivot. Cette position géographique impose une diplomatie équilibriste, visant à éviter les conflits tout en œuvrant pour la paix et la stabilité.
En réalité, l’engagement de Djibouti ne se limite pas à la résolution des conflits. Depuis quinze ans, le pays est à l’avant-garde de la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden, en accueillant les forces de la mission européenne Atalante. Le code de conduite de Djibouti, adopté en 2009, reste un outil crucial pour endiguer ce fléau, bien que la menace persiste. Plus récemment, l’opération européenne Aspides a trouvé un partenaire fiable en Djibouti pour sécuriser les convois maritimes, prouvant encore une fois le rôle clé du pays comme hub logistique pour les opérations humanitaires et de sécurité dans la région.
En outre, le voisinage avec le Yémen, marqué par des liens historiques et culturels, se révèle complexe. La reconnaissance par Djibouti du gouvernement légitime du Yémen et sa condamnation des attaques houthies sur les navires montrent une position claire et ferme. La perturbation du trafic maritime dans le détroit de Bab el-Mandeb affecte gravement l’économie djiboutienne et soulève des préoccupations logistiques majeures pour toute la région. La clarté et la constance de Djibouti sur des questions sensibles, comme le conflit en Palestine et la tragédie de Gaza, témoignent d’une diplomatie sans ambiguïté.
En effet , Djibouti accueille plusieurs bases militaires de grandes puissances, chacune venue dans un contexte différent : la France, les États-Unis, le Japon, l’Italie, et plus récemment la Chine. Malgré cette présence étrangère, Djibouti maintient une souveraineté jalousement protégée grâce à des accords clairs et transparents. La gestion de ces relations repose sur la neutralité et l’absence d’alliances idéologiques, permettant à Djibouti de naviguer sereinement entre les intérêts divergents de ses partenaires.
Or , Djibouti montre qu'un petit pays peut jouer un rôle disproportionné dans la quête de la paix et de la sécurité régionales. Son engagement indéfectible pour la stabilité, son rôle de médiateur et sa diplomatie équilibrée sont des atouts précieux pour l’avenir de la Corne de l’Afrique.
Par ailleurs, dans un contexte marqué par des enjeux géopolitiques et économiques considérables, Mahamoud Ali Youssouf a annoncé sa candidature à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Fort de son expérience diplomatique et de la position stratégique de Djibouti, il expose les raisons de cette ambition et les défis qu’il entend relever pour le continent africain.
Ainsi, la réforme institutionnelle de l’Union africaine, initiée par le président Kagame, ouvre la présidence de la Commission au principe de la rotation régionale. En 2025, c’est au tour de l’Afrique de l’Est de diriger cette instance cruciale. Djibouti se positionne ainsi comme un candidat légitime. Depuis deux décennies, le pays s'est distingué par son engagement en faveur du dialogue, de la paix et de la sécurité. Mahamoud Ali Youssouf, par son expérience et sa connaissance des dossiers, porte une vision claire : contribuer activement à la cessation des conflits, à l’intégration économique via la ZLECAf, et à la mise en œuvre des réformes nécessaires pour dynamiser l'organisation continentale.
Dans une autre mesure, la question de la bureaucratie et de l’opérabilité de l’Union africaine est souvent soulevée, à l’image des critiques formulées par le général de Gaulle à propos de l’ONU. Toutefois, pour Mahamoud Ali Youssouf, la pertinence de ces organisations n’est pas remise en cause. L’objectif de ces institutions est de promouvoir la paix et la stabilité, des ambitions essentielles pour un monde plus intégré et moins inégalitaire. Certes, des frustrations existent, mais elles sont souvent dues à l'écart entre les attentes des peuples et le temps long des processus bureaucratiques. L’Agenda 2063 de l’UA, bien que lointain et ambitieux, donne une direction claire pour le futur du continent.
In fine , l’Union Africaine n'est pas immobile. Les réformes engagées, notamment sur l’efficacité du personnel et les carrières, témoignent d’une volonté d’amélioration continue. Mahamoud Ali Youssouf se propose d’accentuer ces réformes, en gardant à l’esprit les objectifs stratégiques de paix, d’intégration économique et de lutte contre le changement climatique. La jeunesse africaine, connectée et ambitieuse, est au cœur de ce projet. Il est essentiel de dialoguer avec elle et de répondre à ses aspirations.
Quant à la notion de « Sud global » qui est souvent évoquée, mais elle reste une aspiration. Pour Mahamoud Ali Youssouf, l'économie mondiale, dominée par le dollar, illustre la difficulté de changer les rapports de force. Néanmoins, la croissance et l’avancement des pays émergents demeurent cruciaux pour se créer des marges de manœuvre.
À ce propos, la Chine, partenaire majeur de Djibouti, incarne cette dynamique. Son engagement en Afrique, malgré ses propres intérêts, a comblé un vide laissé par les puissances occidentales. Loin des discours moralisateurs, la Chine investit dans des infrastructures essentielles pour le développement.
Alors que la France reste un partenaire historique de Djibouti. Les relations bilatérales, basées sur un partenariat gagnant-gagnant, sont en cours de renégociation pour rééquilibrer le traité de défense. Le dialogue entre les deux nations est constructif et positif.
Avec l’Éthiopie, Djibouti partage des intérêts profondément imbriqués. Les tensions commerciales et stratégiques sont inévitables, mais elles n’entament pas la relation fraternelle entre les deux pays. L’Éthiopie, en pleine croissance démographique et économique, nécessite des accès multiples à la mer. Djibouti continue d’investir dans ses infrastructures pour répondre à cette demande.
Enfin, la candidature de Mahamoud Ali Youssouf à la présidence de la Commission de l’Union africaine est portée par une vision claire et des objectifs précis. Il s’agit de renforcer les réformes, de promouvoir la paix, d’intégrer économiquement le continent et de répondre aux défis climatiques. Une campagne axée sur les enjeux du continent, en phase avec les attentes des populations, notamment les jeunes, est la clé de cette démarche. L'Afrique, riche de sa diversité et de ses potentialités, mérite un leadership fort et visionnaire pour relever les défis du futur.
Lien de l’interview : https://afriquemagazine.com/mahamoud-ali-youssoufnous-voulons-contribuer-activement-la-paix-et-la-securite