Je partage avec vous cet article de témoignage sur le 26 juin 1977 que j’ai précédemment publié dans le magazine Vision . Bonne lecture !
Dans ce récit , on va plonger dans les souvenirs d'une nuit inoubliable, la plus longue de notre histoire .
C’est à dire la nuit du 26 au 27 juin 1977 qui reste gravée dans la mémoire collective comme le symbole de l'indépendance chèrement acquise.
C’était un moment d’alchimie où on s'apprêtait à écrire un nouveau chapitre de notre histoire, celui de notre souveraineté. Après deux tentatives infructueuses en 1958 et 1967, notre pays fête en cette soirée pas comme les autres, le droit de décider dorénavant de son propre destin.
Par ailleurs, en cette année là , peu d'observateurs prévoyaient un avenir autre que sombre pour nous à l'époque. Les médias de l'Hexagone alimentaient ces doutes. Par exemple, dans son numéro de mai 1977, Jeune Afrique titrait "Des lendemains incertains", tandis que Le Monde s'interrogeait ouvertement sur la viabilité de "la colonie la moins attrayante de la France". Fort heureusement, ce genre de discours néocolonialiste n’avait aucun écho dans un peuple célébrant la fin d’une ère .
Plus tard, le président de la République, Ismail Omar Guelleh, a répondu à ces doutes avec une pointe d'ironie, déclarant : "Un pays si désertique que même le chacal faisait son testament avant de le traverser", lors de l'inauguration du Mémorial du barrage de Balbala ,le 26 juin 2022. Une façon de leur rappeler que nous avons réussi le challenge de pérenniser l’existence de notre république.
Mais revenons à cette nuit historique, à travers le témoignage d'une extase populaire et des heures qui l'ont précédée.
Des cris , des larmes de joie……
Le nuit du 26 au 27 juin 1977 , les festivités avaient durées jusqu'aux premières lueurs de l'aube de cette nuit mémorable . Or, une marée humaine se déversait de toutes les directions, convergeant vers un terrain vague entre la station Ali Gouray et Arhiba, un espace presque vide à l'époque, un terrain vague où les jeunes des quartiers avoisinants jouaient le football .
Vers 20 heures, mes trois amis et moi , emportés par une foule en constante augmentation depuis notre départ de l'avenue 13, on se retrouve sur la route d’Arta ( Gouled actuellement) .
En rejoignant la foule venant des quartiers 1, 3, 4 et du centre-ville , nous étions animés par la curiosité dans cette atmosphère populaire enflammée, hors du commun. Le mot "Gobanimo" était sur toutes les lèvres, et nous répétitions en chœur même si nous ne comprenions pas encore pleinement sa signification.
Cette nuit-là, une effervescence palpable flottait dans l'air alors que les Djiboutiens, venant de tous horizons, se rassemblaient pour célébrer une liberté nouvellement acquise. Les rues adjacentes étaient remplies d'une foule joyeuse, unie par l'espoir d'un avenir meilleur. Enfin, après de cent trente années de domination coloniale française, Djibouti obtenait son indépendance. Les Djiboutiens, longtemps opprimés, pouvaient enfin revendiquer leur identité . C'était un moment historique, symbolisé par l'acte solennel de hisser le drapeau national pour la première fois.
Arrivée au terrain vague noir de monde, vêtu d'une chemise et d'un short, je m'aventure à travers la foule. Les danses folkloriques sont dispersées ici et là : wile wile, sadexlay, malabo, botor... toutes les danses somaliennes, afar et arabes de Djibouti sont représentées. Avec mes amis d’enfance, nous slalomons au milieu de cette ruche humaine, s’arrêtant un instant à admirer un groupe vêtu de tenues africaines et produisant des cliquetis avec leurs pieds. J'apprendrai plus tard qu'ils venaient du sud de la Somalie.
Plus loin, sur une estrade , le groupe Gaan maan offre un spectacle en alternance avec la troupe Waberi venue de Somalie pour participer aux festivités. Une énergie débordante emportait la masse populaire , plongeant chacun dans une transe au fil des heures et des mélodies .
Au centre, un carré est aménagé pour hisser le drapeau à minuit. Bien que l'emplacement actuel du drapeau soit différent, à l'époque, c'était vers le centre de l'actuel marché Ryad. Hommes, femmes et enfants se déplacent dans toutes les directions, applaudissant les nombreux groupes de danses folkloriques qui ont établi leurs quartiers éphémères sur ce terrain vague pour une soirée. Les jeunes se rassemblent près de la scène musicale, où chanteurs et chanteuses interprètent des morceaux composés spécialement pour cette occasion.
Dans cette nuit empreinte de symboles, le drapeau de Djibouti s'élève majestueusement vers les cieux étoilés à minuit. Les officiels debout dans la carrée d’honneur sous les regards émerveillés des citoyens se fixent sur ce témoin silencieux de leur lutte pour la liberté. Un petit couac dû au stress de l’instant est vite corrigé. En effet, l’officier chargé de hisser le drapeau l’a effectué à l’envers dans un premier temps puis il corrige son geste en recommençant l’action. L’hymne national est chantée, j’ai perdu la suite des actions car un mouvement de foule me bascule en arrière. C’est à partir de mes années de collège que j’ai bien saisi l’importance le drapeau incarne la résilience d'un peuple, sa volonté de se libérer des chaînes de la colonisation et de forger son propre destin. C'est un symbole puissant qui résonne encore aujourd'hui, rappelant à tous la valeur de la liberté et l'importance de préserver notre souveraineté.
Ostensiblement , les couleurs nationales, le bleu, le vert et le blanc, flottent avec grâce, portant les aspirations et les espoirs de tout un peuple. Les larmes de joie coulent sur les visages des jeunes et des anciens, témoignant de l'importance de cet événement.
L’effervescence de l’après midi au siège du LPAI
Nous étions bercés par au son du “ Gobanimo “ qui résonnait en nous alors que nous flânions les après-midis à l'ombre du bâtiment qui abritait la LPAI. Par chance, le siège se trouvait dans notre quartier, ce qui nous plaçait aux premières loges des activités politiques qui atteignaient leur apogée en ce mois de juin. Pendant que nous savourions les plaisirs estivaux de nos vacances d'écoliers, le quartier s'animait de l'effervescence de l'indépendance.
Habituellement, les après-midis , on allait à la plage Siesta ou faisions voler des cerf-volants fabriqués par nous même en se mettant l’espace entre les rues de l’avenue 13 ou encore jouions aux billes sous l’ombre du siège du LPAI. Chaque jeu avait était pratiqué durant petite période . Agé presque de dix ans , j’étais très adroit avec ma gauche en gagnant souvent tous les jeux d’adresse : Billes , toupie, etc..
En outre, ce fameux après-midi du 26 juin 1977, le siège central du LPAI était en ébullition, devenant le point de convergence de tous les mouvements indépendantistes. Le bâtiment, situé à l’avenue 13 (actuelle Cheikh Houmed), était un immeuble d'un étage, peint d'une chaume blanche, toujours grouillant de monde. Je me souviens que mon père avait fermé ce jour là sa boutique sise sur la Rue des Mouches et étant membre du comité de la section LPAI de Q1/2 sise à avenue également, n’était même pas venu prendre son déjeuner à midi .
Par ailleurs, Hassan Gouled et Ahmed Dini, ces deux figures emblématiques, étaient les chefs d'orchestre de cette agitation constante au siège central de la LPAI, devenu le point névralgique de la mobilisation des Djiboutiens. Au fil des heures, une atmosphère enthousiasmante imprégnait les lieux. Je me souviens que mon père avait fermé ce jour là sa boutique sise sur la Rue des Mouches et étant membre du comité de la section LPAI de Q1/2 sise à avenue également, n’était même pas venu prendre son déjeuner à midi .
Après l'appel à la prière du Maghrib, des cohortes de personnes quittaient l'endroit en formant des groupes compacts, et petit à petit, les environs du siège se vidaient. La journée de mobilisation touchait à sa fin, mais l'excitation et l'espoir étaient encore palpables. Tout le monde s’est dirigé vers la place “ Houriya ” qui accueillait les activités de la nuit la plus longue.
Enfin, cette nuit restera à jamais gravée dans notre mémoire collective, témoignant de notre histoire et de notre identité en tant que nation indépendante.
Aujourd'hui, en repensant à ces jours passés, je ressens à nouveau cette vague d'émotions et de fierté qui a accompagné la naissance de notre nation. Ces souvenirs nous rappellent l'importance de notre engagement envers la liberté et la souveraineté.
Que ces souvenirs perdurent et inspirent les générations post -indépendance à préserver et à célébrer notre indépendance, en se souvenant des efforts et des sacrifices de ceux qui ont lutté pour notre liberté.
Bref, de cette nuit historique, il est essentiel de se rappeler le courage et la détermination dont ont fait preuve les Djiboutiens pour obtenir leur indépendance.