mercredi 23 avril 2025

Le khat, ce tueur silencieux !

 Djibouti, Ali Sabieh, Addis-Abeba, Dire Dawa, Hargeisa… Le khat circule, s’échange, se mâche, s’impose. Il relie les hommes par les joues et par la salive. Autrefois, il accompagnait les discussions, offrait un prétexte pour s’écouter, permettait de traverser les après-midis trop longs. Aujourd’hui, il est devenu tout autre chose : une plante toxique, gorgée de produits chimiques, qui sillonne la Corne de l’Afrique sous les habits d’un commerce florissant. L’Éthiopie, en voulant transformer cette tradition en source de devise, a métamorphosé son khat en poison. Un poison lent, un poison rentable.



Dans les années 1980, le khat n’était ni fléau ni produit d’exportation massive. Il appartenait à la vie ordinaire, modeste et rituelle. Quelques feuilles, un cercle d’amis, des conversations lentes. La plante poussait naturellement, sur des terres fertiles, sans fongicides ni additifs. On la consommait avec modération, presque avec respect. Ce geste ne tuait pas. Il rassemblait. C’était le temps du Qud Awliyo !


Puis la demande s’est emballée. Les marchés de la sous-région, et d’ailleurs, en ont réclamé toujours plus. L’Éthiopie a répondu. Avec des hectares à perte de vue. Avec des pesticides. Avec des devises.

Aujourd’hui, le khat représente près du tiers des exportations agricoles éthiopiennes. En 2023, ces feuilles vertes ont généré plus de 900 millions de dollars. L’industrie du khat est devenue une machine. Elle dépasse le café, conquiert le monde, s’automatise. Mais cette richesse a un prix. Et ce ne sont pas les producteurs qui le paient, mais les consommateurs. Pour faire pousser plus vite, plus dru, plus souvent, on noie les plants sous des intrants chimiques. NPK, urée, mais aussi glyphosate, malathion, chlorothalonil… Une panoplie toxique pour maximiser le rendement. Ce n’est plus un simple stimulant. C’est un cocktail mortel.


Des études récentes ont levé le voile sur la toxicité du khat industriel. En 2023, une publication dans Environmental Health Perspectives révélait que 60 % des échantillons analysés contenaient des résidus de pesticides dépassant les seuils internationaux. Le malathion, cancérigène probable selon l’OMS, en est l’un des exemples. L’imidaclopride, un néonicotinoïde aux effets neurotoxiques, en est un autre. Et il ne s’agit pas de simples traces. Les substances chimiques pénètrent la plante, circulent dans sa sève, infiltrent ses tissus. Laver les feuilles ? Illusoire. À peine 10 % des résidus peuvent être éliminés au rinçage. Le reste reste. Invisible. Indélébile.


Le khat se mâche, longtemps , lentement . C’est là que le poison opère. À chaque mastication, la salive libère les toxines. Elles passent dans le sang, dans l’estomac, puis dans le foie. Certaines s’accumulent dans les graisses. Leur effet est insidieux, progressif, cumulatif. On ne meurt pas d’un coup. On s’empoisonne à petit feu.

Les effets sont doubles : immédiats et différés. À court terme : nausées, vertiges, palpitations, malaises évoquant des infarctus. À long terme : dégradation du foie, atteintes neurologiques, cancers, infertilité. Le plaisir masque une descente vers la maladie à cause du chlorpyrifos et ses pairs .  


À ce propos, le fléau touche des cibles précises. Les consommateurs réguliers, d’abord. Ceux qui mâchent des heures durant. Leur foie décline. Leur système nerveux lâche. Leur cœur s’épuise. Les femmes enceintes, ensuite. Pour elles, le khat est vecteur de malformations, de retards de croissance, de troubles neurologiques. Les toxines traversent le placenta sans obstacle. Enfin, les jeunes. À peine sortis de l’enfance, ils embrassent le khat comme un rite. Leur corps fragile n’y résiste pas. Leur cognition s’effondre. Leur avenir vacille. 

La cathinone, substance active du khat, agit comme un euphorisant. Elle donne une impression de maîtrise. Mais plus le corps faiblit, plus il faut mâcher pour retrouver l’effet. Le cercle est vicieux. L’euphorie s’efface, l’intoxication s’aggrave. Le consommateur est pris au piège. Victime de la plante. Et de la chimie qui l’a trahie. Plusieurs études le confirment : la tolérance s’installe, les doses augmentent, l’empoisonnement s’aggrave. Tout cela pour un plaisir qui n’est plus.


Les recherches récentes le confirment : le khat éthiopien est contaminé par des pesticides et des métaux lourds. Des publications parues en 2022 et 2023 dans Environmental Health Perspectives et le Bulletin of Environmental Contamination and Toxicology ont identifié du malathion, du diazinon, du chlorpyrifos, mais aussi du plomb, du cadmium, de l’imidaclopride, dans plus de 60 % des échantillons. À des concentrations souvent supérieures aux seuils de l’OMS. Ces substances menacent gravement la santé des consommateurs. Les scientifiques alertent : neurotoxicité, perturbations hormonales, effets cumulatifs dus à l’absorption quotidienne.


Sur le plan médical, les travaux menés entre 2022 et 2024 établissent une corrélation claire entre la consommation de khat contaminé et des troubles graves : dysfonctionnement hépatique, déclin cognitif, cancers oraux. Des articles publiés dans le Journal of Hepatology et NeuroToxicology relèvent des taux anormaux d’enzymes hépatiques, des atteintes neurologiques significatives. Une étude parue dans Cancer Epidemiology relie directement la présence de glyphosate et de 2,4-D à des lésions précancéreuses. Parallèlement, des rapports institutionnels soulignent la contamination des eaux souterraines et des rivières. La biodiversité et les ressources hydriques sont menacées. L’OMS et la FAO réclament d’urgence des normes sanitaires spécifiques à cette plante à haut risque.

Le khat, ainsi traité, expose à un enchaînement de pathologies lourdes. Sur le plan neurologique : troubles cognitifs, effets neurotoxiques chroniques, perturbations endocriniennes, en particulier chez les usagers réguliers. Des atteintes hépatiques sont également documentées, avec des marqueurs biologiques de lésion. À cela s’ajoutent des risques accrus de cancers, notamment buccaux, dus à la présence de glyphosate et de 2,4-D.


Mais le danger ne s’arrête pas là. Le khat contaminé compromet la santé cardiovasculaire. La cathinone, combinée aux pesticides, peut provoquer hypertension, arythmies, infarctus, AVC. L’accumulation de métaux lourds comme le plomb et le cadmium alourdit ce bilan toxique. La pollution des eaux due aux cultures aggrave encore l’impact. Ces éléments appellent une régulation stricte de la filière et l’adoption de pratiques agricoles plus sûres.Pendant ce temps, les profits grimpent. L’Éthiopie encaisse , les producteurs s’enrichissent et les exportateurs prospèrent. Et les consommateurs, eux, s’empoisonnent. Le khat tue plus qu’il ne nourrit.


Enfin , ce billet n’est ni un plaidoyer pour l’interdiction, ni une nostalgie d’un khat d’autrefois. C’est une alerte. Un appel à la lucidité . Un miroir tendu à une société qui s’empoisonne dans le silence.

Il est temps de regarder le Qud Awliyo (khat ) en face. Non plus comme une simple plante. Mais comme ce qu’il  est devenu :  un tueur  silencieux.

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