mercredi 23 avril 2025

Valentin-Yves Mudimbe, l’insoumis des savoirs, tire sa révérence

 Il s’est éteint discrètement, comme les sages. Mais l’onde de son départ traverse déjà les continents. Car Valentin-Yves Mudimbe n’était pas un simple intellectuel africain parmi d’autres. Il était une secousse. Une secousse dans les fondations tranquilles de la pensée dominante, un contre-chant obstiné à l’orchestre monocorde des savoirs occidentaux. Il était, à sa manière, un déconstructeur tranquille, un démineur des évidences coloniales, un philosophe indocile.



Né au Congo belge en 1941, Mudimbe aura passé sa vie à déjouer les catégories, à interroger les langages, à déchiffrer les pièges du discours savant. Prêtre défroqué, linguiste, poète, romancier, universitaire transcontinental ( il aura enseigné aussi bien à Stanford qu’à Duke, tout en publiant en français comme en anglais ) Mudimbe fut d’abord un homme de traversée. Traversée des disciplines, des langues, des frontières.


Mais c’est avec L’invention de l’Afrique, son ouvrage phare publié en 1988, qu’il marque un tournant irréversible dans l’épistémologie des études africaines. Ce livre, dense et rigoureux, jette une lumière crue sur la fabrique intellectuelle de l’Afrique coloniale. Il démonte, avec une précision chirurgicale, la manière dont l’Occident a produit une image de l’Afrique comme altérité radicale, terrain vide à remplir de significations étrangères. L’Afrique, disait-il, n’a pas seulement été dominée. Elle a été inventée.


Mudimbe n’avait pas pour projet de substituer un discours africain à un autre discours. Il voulait aller plus loin : montrer que les outils mêmes du savoir ( philosophie, anthropologie, théologie, histoire 6 ont été façonnés dans un contexte de domination, et qu’ils doivent être repensés depuis leurs fondations. Il appelait cela une “gnose critique”, un savoir lucide sur les conditions de production du savoir lui-même.


Dans ses romans, Entre les eaux ou Le bel immonde, c’est une autre Afrique qu’il donnait à voir : celle des contradictions intimes, des quêtes spirituelles étouffées, des modernités blessées. Une Afrique sans fétichisme ni misérabilisme, traversée par les tensions du monde.


Mudimbe n’a jamais cherché la lumière des plateaux. Il écrivait dans le silence des bibliothèques, dans les interstices des langues, dans les marges de l’histoire. Pourtant, aujourd’hui, son absence résonne comme un manque. Il était de ceux qui nous obligent à penser. Non pas pour répéter des leçons, mais pour les retourner. Pour les réécrire, parfois dans le doute, souvent dans la douleur.


Valentin-Yves Mudimbe n’est plus. Mais son œuvre, elle, demeure comme un phare. Un appel à l’insoumission intellectuelle. Un refus de la paresse mentale. Une invitation, toujours actuelle, à réinventer l’Afrique ; mais cette fois, depuis elle-même.


 

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