Le récent débat Mjadala Afrika, organisé dans le cadre de la course à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA), a marqué un tournant dans la manière dont l’organisation s’engage avec les citoyens du continent. Pour une institution souvent perçue comme distante et bureaucratique, cet exercice a offert une rare fenêtre sur les idées et ambitions des candidats.
Avec un format structuré mais quelque peu rigide, le débat a permis de mettre en lumière les visions des principaux prétendants. Parmi eux, le Djiboutien Mahmoud Ali Youssouf a impressionné par sa maîtrise des dossiers complexes et sa capacité à articuler une vision claire pour l’Afrique. Défendant un projet d’Afrique intégrée, souveraine et active sur la scène mondiale, il a su associer analyse technique et optimisme pragmatique. Son insistance sur le « manque de volonté politique des États membres » comme frein majeur aux ambitions de l’UA a résonné comme un appel à une réforme collective, où chaque État joue pleinement son rôle.
Durant le débat , le Malgache Richard Randriamandrato, bien que moins précis sur les cadres institutionnels de l’UA, a surpris par des propositions audacieuses et des remarques incisives. Sa réflexion sur le renouveau du panafricanisme et son appel à réduire la dépendance stratégique aux bases militaires étrangères ont particulièrement marqué les esprits. Quant au Kenyan Raila Odinga, figure emblématique des luttes pour l’indépendance africaine, il a adopté une posture plus ancrée dans l’histoire et la transformation économique, tout en restant moins à l’aise sur les questions institutionnelles.
En effet, le débat a aussi été l’occasion d’explorer des thèmes critiques comme le programme « Faire taire les armes » et la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Si le format imposait des réponses rapides, il a révélé les priorités et les approches distinctes des candidats. Mahmoud Ali Youssouf s’est distingué par une compréhension approfondie des mécanismes internes de l’UA, notamment en matière de gestion financière, tout en apportant une touche d’humour bienvenue dans une discussion souvent austère.
Pour ce qui est de Richard Randriamandrato , il a misé sur une approche économique, bien qu'il ait manqué de profondeur sur les dynamiques internes de l'UA. Il a cependant marqué les esprits par sa verve, notamment lorsqu'il a fustigé l'incapacité de l'UA à jouer les médiateurs dans les conflits régionaux majeurs.
Quant à Raila Odinga, figure historique du panafricanisme, il a tenté d'ancrer ses propositions dans les luttes pour l'indépendance, mais son manque de maîtrise des cadres et mécanismes de l'UA a révélé des lacunes inattendues.
En revanche, Mahmoud Ali Youssouf a dominé sur le plan technique et rhétorique. Avec une connaissance impressionnante des rouages de l'UA et une capacité à relier les problèmes structurels aux réalités politiques, Mohamoud s'est positionné comme le candidat le plus complet. Son insistance sur le manque de volonté politique des Etats membres, qu'il identifie comme la racine des dysfonctionnements de l'UA, a frappé juste, tout comme sa vision d'une Afrique plus intégrée dans le Sud global face à la montée des multipolarités.
Ensuite, les échanges sur le panafricanisme et la géopolitique ont été particulièrement révélateurs. Tandis qu’Ali Youssouf plaidait pour une transformation économique afin de redéfinir les rapports de force avec les grandes puissances, Randriamandrato appelait à un renouveau idéologique, souhaitant la fin des bases militaires étrangères sur le continent. Odinga, quant à lui, a contourné les sujets sensibles pour s’en tenir à son terrain de prédilection : les infrastructures et la croissance économique. Cette divergence illustre un malaise plus profond, celui d’une UA tiraillée entre une vision pragmatique et une aspiration idéologique à l’autodétermination.
En matière de réformes internes, Ali Youssouf a une fois de plus démontré une maîtrise des enjeux, notamment sur les mécanismes de financement et de gestion. Sa critique subtile mais incisive des pratiques actuelles, accompagnée d’une pointe d’humour sur le fameux audit des compétences, serpent de mer de l’UA – a souligné sa capacité à naviguer entre franchise et diplomatie. À l’inverse, la proposition innovante d’Odinga sur les fonds souverains a été jugée séduisante mais impraticable au regard des cadres juridiques actuels.
Au-delà des performances individuelles, Mjadala Afrika reflète une dynamique plus large : celle d’une UA cherchant à renouer avec ses citoyens et à revitaliser son projet panafricain. Les interactions avec les groupes de réflexion comme Amani Africa et l’Institute for Security Studies témoignent d’une volonté de transparence et d’ouverture à des perspectives diverses.
Enfin , le choix final du futur président de la Commission de l’UA, bien sûr, ne dépendra pas uniquement des discours et des visions partagées lors de ce débat. Il sera également façonné par des équilibres géopolitiques, des intérêts régionaux et des alliances stratégiques. Mais une chose est claire : pour surmonter les défis immenses auxquels l’Afrique fait face , de la paix et la sécurité à l’intégration économique , l’UA devra se doter d’un dirigeant capable de conjuguer leadership politique, expertise technique et engagement collectif. Mahmoud Ali Youssouf semble, à bien des égards, répondre à ce portrait.
L’avenir de l’UA est en jeu, et avec lui, celui de tout un continent en quête d’unité et de souveraineté renforcées. Les citoyens africains, bien qu’éloignés des coulisses de la décision, regardent avec espoir et vigilance cette élection qui définira, en partie, la trajectoire du panafricanisme dans les années à venir.
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