mercredi 30 avril 2025

Tribalisme numérique , un péril silencieux pour la cohésion nationale

 « Face au péril du tribalisme numérique, Djibouti doit investir dans l’éducation civique, la mémoire nationale et la transparence pour préserver son unité. Notre destin commun appelle un sursaut d’intelligence collective et d’engagement citoyen. »


À Djibouti, l’essor du tribalisme sur les réseaux sociaux constitue un phénomène récent, mais déjà lourd de menaces. Longtemps contenu dans l’espace privé ou inscrit dans des formes traditionnelles de solidarité, l’appartenance clanique mute aujourd’hui sous l’effet des dynamiques numériques et politiques. Elle devient, de plus en plus, une arme au service de logiques de division.


Les réseaux sociaux, ces espaces d’expression sans filtres, offrent un terreau fertile à cette dérive. Ce n’est plus simplement un ancrage identitaire familier ; c’est désormais une instrumentalisation politique consciente. Ce glissement ne relève pas du hasard. Il s’explique, en partie, par l’influence de groupes d’activistes basés à l’étranger, qui, s’inspirant des pratiques observées en Somalie et au Somaliland, importent dans l’espace djiboutien des réflexes de polarisation et de radicalisation claniques. Leurs discours, loin d’être anodins, visent à fragiliser la cohésion nationale en exacerbant frustrations sociales et tensions politiques.



  À ce tribalisme d’importation s’ajoute une dynamique interne tout aussi préoccupante. Certains influenceurs locaux, parfois soupçonnés ( sans qu’aucune preuve formelle ne le confirme ) de bénéficier de protections politiques, ont repris à leur compte le discours clanique. Ils ne l’utilisent plus comme outil de solidarité traditionnelle, mais comme instrument de promotion personnelle ou communautaire.


Ce dernier temps, se multiplient des groupes WhatsApp à caractère tribal et les réunions claniques, qui ont dévié de leur vocation initiale. Il ne s’agit plus de se concerter autour d’enjeux communs, tels que la collecte pour l’assurance clanique  ou l’entraide sociale. Ces rencontres se concentrent désormais sur les opportunités d’embauche, les nominations et les avantages à obtenir pour des membres du clan . Ainsi se met progressivement en place un clanisme institutionnalisé, qui risque d’altérer profondément l’esprit de service public et d’affaiblir la cohésion nationale.


Le rappel historique est ici éclairant. Dès l’époque coloniale ( de la période d’Obock à celle de la Côte française des Somalis puis du Territoire français des Afars et des Issas ), la stratégie consistait déjà à instrumentaliser les divisions communautaires pour asseoir la domination. Certains groupes étaient privilégiés, d’autres marginalisés et réciproquement en fonction des stratégies coloniales , afin de gouverner plus efficacement. Aujourd’hui, sans intervention extérieure, ce poison est propagé de l’intérieur, parfois sans que ses promoteurs n’en mesurent toutes les conséquences.


La responsabilité face à ce danger est collective. Aux historiens, d’abord, de documenter et d’expliquer les mécanismes de division hérités du passé, afin d’armer les citoyens contre les manipulations contemporaines. Aux médias, ensuite, d’amplifier ce travail de vulgarisation historique, en diffusant un récit républicain qui célèbre la “djiboutienneté” au-dessus de toute appartenance primaire.

Car l’enjeu est clair : préserver l’évolution de la société djiboutienne vers une modernité politique et sociale, tout en la protégeant des tentatives de manipulation. Le tribalisme, lorsqu’il est utilisé comme arme politique, est un feu incontrôlable. Il nourrit les haines, détruit la confiance et mine les fondations mêmes de l’État.


Dans une région instable ( de la Somalie au Yémen en passant par certaines provinces éthiopiennes ), Djibouti ne peut se permettre de baisser la garde. Sa jeunesse, immense promesse d’avenir, doit être la première cible d’une politique de responsabilisation, de citoyenneté active, et d’adhésion à un projet collectif. Le tribalisme est une tentation facile ; il est toujours l’antichambre du chaos.

La réponse, face à ce tribalisme numérique naissant, ne saurait être uniquement répressive. Elle doit d’abord s’appuyer sur un renforcement de l’éducation civique dès le plus jeune âge. Il est essentiel d’enseigner aux enfants et adolescents les principes fondamentaux de la République, l’histoire commune du pays, et les dangers des logiques de division. Une citoyenneté consciente et informée est la première digue contre les dérives identitaires.


Il convient aussi de promouvoir un récit national fédérateur, mobilisant historiens, chercheurs, écrivains et journalistes. La production et la diffusion d’une mémoire collective valorisant les luttes communes et les figures nationales doivent être encouragées. Il s’agit de sortir d’une lecture communautaire de l’histoire pour replacer chaque citoyen dans une trajectoire partagée, dépassant les clivages tribaux.

Les réseaux sociaux, devenus les nouveaux espaces publics, méritent également une attention particulière. Plutôt que d’opter pour la censure, il faut privilégier les campagnes de sensibilisation, la promotion des bonnes pratiques numériques, et encourager l’émergence de contre-discours porteurs d’unité. Former la jeunesse à des usages responsables du numérique est devenu un impératif pour enrayer la propagation des discours de haine.


En parallèle, il est indispensable de soutenir les initiatives locales de dialogue intercommunautaire. Les projets, forums et actions de terrain favorisant la coopération entre communautés doivent être valorisés, car ils reconstruisent du lien social et offrent des exemples concrets de dépassement des appartenances claniques.


Enfin, le renforcement de la transparence dans la gestion publique est fondamental. La lutte contre le clientélisme ( réel ou perçu ) est essentielle pour restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions. Une administration équitable et accessible à tous, sans considération d’origine tribale, est un pilier vital de la cohésion nationale. Ces actions complémentaires doivent être menées avec lucidité et détermination. Car face aux vents contraires qui soufflent dans la région, la consolidation de la citoyenneté, le renforcement de la République et l’affirmation de la “djiboutienneté” restent les meilleures garanties d’un avenir commun.


Djibouti, par sa position stratégique et son histoire singulière, a toujours été un carrefour d’influences, un lieu de rencontre entre peuples et cultures. Cette richesse doit continuer d’être une force, non devenir une fracture. Si le tribalisme numérique n’est pas contenu, il risque d’introduire dans le débat public des logiques de division qui, lentement mais sûrement, saperaient les fondations de notre vivre-ensemble.

La vigilance est de mise, mais elle doit s’accompagner d’une action patiente et résolue. Ce n’est pas dans l’urgence ou sous l’émotion que se bâtit une nation ; c’est en développant une culture politique fondée sur l’appartenance citoyenne, sur la reconnaissance des différences dans un cadre commun, et sur la défense des principes républicains.


Enfin , le défi est immense, mais il n’est pas insurmontable. En investissant dans l’éducation, la mémoire collective, la responsabilité numérique et la transparence institutionnelle, Djibouti peut non seulement contenir ce péril silencieux, mais aussi en sortir renforcé. Le destin commun que nous partageons mérite mieux que des replis identitaires. Il appelle un sursaut d’intelligence collective, de responsabilité et d’engagement citoyen.


 M.G 

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